Contribution de l’historien Ali Farid Belkadi – Quand Oujda faisait partie de l’AlgérieAu VIIIe siècle de l’hégire, les conquérants musulmans du Maghreb distribuèrent les Etats berbères dont ils étaient les nouveaux maîtres, en se conformant aux limites littorales traditionnelles définies par la topographie. C’est ainsi que la partie centrale de l’Afrique du Nord, l’Algérie, s’appela «Al-Maghreb Al-Awsat» (l’Occident central), qui débutait au méridien de Bougie jusqu’au fleuve Moulouya. Il s’agit, là, de l’Algérie traditionnelle, amputée de sa région bônoise, Annaba. Pour Ibn Khaldoun, le Maghreb central représentait toute la partie de l’Algérie qui s’étend entre la Moulouya à l’ouest, la Kabylie et l’Aurès à l’est : c'est-à-dire les hauts plateaux d’Alger et d’Oran et la vallée du Cheliff. Ces territoires formaient le cœur du pays des Zenata (Histoire des berbères, W. M.-G. de Slane, tome III, page 180).
«Occident extrême» et «Occident médian»Au moment de la conquête de l’Algérie, les Français et les Marocains avaient conscience des territoires appartenant à l’Algérie, aucun territoire n’empiétait sur les possessions de l’autre, de manière convenue. Le fleuve Moulouya formant les frontières traditionnelles entre les deux pays, depuis la haute antiquité. Plus tard, on vit les Marocains réclamer la ville de Tlemcen et sa région. L’émir Abdelkader, lors de sa prestation de serment à ses débuts, s’étant déclaré par calculs politiques khalifa, c’est-à-dire auxiliaire du sultan du Maroc, se mettant ainsi sous la coupe et la protection des Marocains, afin de les impliquer dans les hostilités entre les Algériens et les Français.
Les conquérants musulmans avaient fixé dès le VIIIe siècle les bornes du Pays de Barka, la Cyrénaïque, à l’exclusion de la Marmarique. A l’Ifriqiya, qui comprenait la Tunisie proprement dite, fut ajoutée la Tripolitaine à l’est, ainsi que la région de Constantine, jusqu’au méridien de Bougie, à l’ouest.
Le nom d’Al-Maghreb Al-Aqsa (l’Occident extrême) fut octroyé à tout le reste de l’Afrique du Nord, c'est-à-dire le Maroc, jusqu’à l’océan Atlantique à l’ouest et à l’oued Draa au sud. Le terme «Sahara» échut ainsi à toute la région désertique. La notion de pays préexistait ainsi à travers cette dénomination de Maghreb Al-Awsat bien des siècles avant l’apparition des Turcs dans la baie d’Alger.
Le radical arabe «ghrb»Le radical arabe «ghrb» renferme aussi bien les termes qui signifient l’«ouest», l’«occident», comme nous l’avons vu, que la notion d’«émigrer», «aller vers l’ouest» ou encore «venir de l’ouest». Différentes sections de la racine arabe «ghrb» renvoient au terme «étranger(ère)». Ainsi, le Maghreb Al-Aqsa est l’occident le plus éloigné, alors que le gharb est «l’ouest de tout lieu où l’on se trouve».
Moulouya et Mellieha, «marais salins»Dans le nord-ouest de Malte, Mellieha est le nom d’un bourg perché sur une colline qui domine la plus vaste plage de sable de l’île. Le site fut occupé dès la période néolithique. La conquête arabe de 870 a brouillé quelque peu le patrimoine linguistique de l’île. Les habitants de Malte, qui sont, selon toute vraisemblance, les descendants d’autres sémites, les Phéniciens, s’expriment dans un dialecte proche de l’idiome arabe maghrébin. Mellieḥa doit son nom au sel (melh) en arabe et en maltais. Les Maltais vivaient du produit des marais salins situés dans cette région de l’île.
Mellieḥa et Mulucha sont un même mot d’origine sémitique et qui semble avoir été attribué par les Phéniciens à ce fleuve des confins algéro-marocains et au bourg du nord de Malte. On sait que les Phéniciens, assimilés aux Maures, furent à Lixus, actuel oued Loukous, vers -1000.
MuluchaLes textes antiques qui nous sont parvenus citent un grand cours d'eau, le Mulucha, comme formant la frontière naturelle entre les deux Maurétanie, Tingitane et Césarienne. Il s’agit du fleuve Moulouya. Les deux Maurétanie qui formaient alors le Maroc et l’Algérie dans leurs limites anciennes se situaient, selon la tradition antique, de part et d’autre du fleuve.
La Moulouya, qui prend naissance à la réunion du massif du Moyen et du Haut Atlas dans la province de Khénifra, se déroule sur près de 600 kilomètres, avant de se jeter dans la Méditerranée, dans la région du Rif, au nord-est du Maroc. Son embouchure est située à 14 km de l’actuelle frontière algérienne. La Moulouya a servi de repère frontalier durant des siècles entre les dynasties qui gouvernaient au Maroc et celles qui commandaient en Algérie.
Pour l’historien Salluste, le fleuve Mulucha séparait le royaume de Bocchus de celui de Jugurtha. Pomponius Méla et Pline l’ancien confirment les indications de Salluste. On peut retrouver ce terme Moulouya dans sa forme première Melleiha dans Jugurtha, XCVII «flmnen Mulucha-quod Jugurlhse Bocchique regnum disjungebat.» 3 1. 5. «Mulucha amnis, nunc gentium, olim regnorum quoque terminus Bocchi Jugurthœque.». 4 V. 1 (II), 19. «Amnis Muluchae, Bocchi Masstesylorumque finis.»
Le géographe Strabon témoigne également de la forme Melleiha. Il écrit «Molochath» pour désigner le fleuve qui servait de limite naturelle entre les Maurusii et les Massaesylii. Beaucoup plus tard, à l’époque turque, ce fleuve Moulouïa ou Moulouya séparait encore le Maroc de la Régence d'Alger. Les limites territoriales propres au Maghreb le plus éloigné (Al-Aqsa), le Maroc et le Maghreb central (Al-Awsat), l’Algérie, ont ainsi été reconnues et géographiquement définies à travers toutes les époques, depuis la haute antiquité. Pour Léon l'Africain également, le royaume de Tlemcen se terminait au fleuve Maluïa (Moulouïa). L’historien et colonel de la milice coloniale A. Berbrugger écrit (Rev. Afric, 4e vol., p. 414) : «II n'est pas un auteur de quelque poids en géographie africaine qui ne reproduise cette délimitation.»
Ibn Khaldoun donne les mêmes limites au Maghreb Al-Aqsa, le Maroc. Il écrit : «Le Maghreb el Aqsa (Maroc) est borné à l'est par la Moulouïa ; il s'étend jusqu'à Asfi, port de la mer environnante (l'Océan). Au-delà de cette limite vient le Maghreb central.» (Histoire des Berbères. Traduction de Slane. Tome I, p. 194 et suiv.).
Le traité franco-marocain et les frontières algériennesA l’issue de la bataille de l’oued Isly, un sous-affluent de la Tafna à peu de distance d’Oujda, remportée le 14 août 1844 par le maréchal Bugeaud sur le sultan du Maroc, Moulay Abd Al-Rahman, qui soutenait l’Emir Abdelkader, des pourparlers eurent lieu pour fixer la frontière algéro-marocaine, sur la base des limites de l'ancien royaume de Tlemcen. La partie française abandonna la frontière traditionnelle de la Moulouya pour un tracé qui coupait en deux les tribus de l’Ouest algérien. D’où le terme ethnique qui sera adopté par la suite pour désigner au sein d’une même tribu «ceux de l’ouest», Gheraba, et «ceux de l’est», Cheraga.
Dans le Sud, les Français cédèrent au Maroc Ich et Figuig, c'est-à-dire une partie de la route des caravanes menant au Touat par l'oued Guir. Ich, ou encore Yich, est une localité située à l’extrême sud-est du Maroc.
Le Figuig, Fidjidj et Fikik en arabe, est prononcé Ifiyey en berbère. Cette localité qui était traditionnellement rattachée au territoire algérien est fixée à la limite des hauts plateaux algériens et le nord du Sahara.
A propos de l’octroi de ces localités au Maroc, lors de la délimitation des frontières entre ce pays et l’Algérie qui était en instance de colonisation par les Français, le voyageur allemand Gerhard Rohlfs écrivait avec consternation : «On ne sait pas de quoi il y a lieu de s'étonner le plus, ou de la naïve ignorance du diplomate français ou de l'impudente connaissance de la question du diplomate marocain Si Ahmed Ben Ali.» (La Gazette de Cologne du 6 juillet 1892).
Les Français, qui étaient pressés d’en finir avec les Marocains, abandonneront la vallée de la Moulouya au Maroc.
Gerhard Rohlfs, auquel étaient reconnues des compétences de géographe, rajoute dans son ouvrage Reise durch Marokko (1864) : «La France a commis une faute impardonnable en laissant à son voisin de l'ouest la vallée de la Moulouya et, plus au midi, ces oasis qui sont des foyers de troubles et de complots toujours dénoncés et presque toujours impunis.» Les oasis dont parle Gerhard Rohlfs renfermaient d’innombrables ksour liés à l’histoire moyenâgeuse de l’Algérie.
MalvaSous la domination romaine, la Moulouya était appelée Malva : «Flumen Malva dirimit Mauretanias duas», c’est ce qu’affirme l'auteur de l'Itinéraire d'Antonin (publié en 1845 par le marquis A.-J.-F. Fortia d'Urban et en 1848 par M.-E. Pinder & G. Parthey).
Au Moyen-âge, sous les dynasties berbères, la distinction des royaumes de Fez et de Tlemcen se fondait sur cette même limite naturelle formée par le fleuve Moulouya. Léon l'Africain disait au XVIe siècle : «Le royaume de Télemcin de la partie du Ponant se termine au fleuve Za et à celui de Malvia.» Malvia, c'est-à-dire la Moulouya.
Les Béni-Snassen scindés en deuxLe traité léonin franco-marocain de 1845 a scindé en deux les tribus berbères appartenant à deux grandes familles : les Trara et les Béni-Snassen. Les Trara se composaient à l’origine de plusieurs fractions qui occupaient presque tout le territoire de l'ancienne annexe de Nemours, les Béni-Snassen.
Le pays au sud des monts du Trara jusqu'à l'oued Za, dont la plaine des Angad fait partie, est peuplé par les tribus désignées sous le nom générique d’Angad. Ce sont : 1- en territoire algérien, les Oulad Riah, les Doui-Yahia, les Djouidat, les Mâazis, etc. ; 2- dans l'amalat d'Oujda, les Zekkara, les Oulad Ahmed Ben Brahim, les Mezaouir, les Béni Bou Zeggou, etc.
Toutes ces populations, unies par des liens de parenté héréditaires, se retrouvèrent démantelées du jour au lendemain par une limite frontalière imaginaire, favorable aux Marocains, suite au traité signé avec les Français, cela sans jamais restreindre ni détruire les contacts et les liens familiaux.
Les Oulad Sidi-CheikhD'après l'article 4 du traité de délimitation, les Hamyan-Djemba et les Oulad Sidi-Cheikh Gheraba dépendent du Maroc ; les Oulad Sidi Cheikh Cheraga et tous les autres Hamyan dépendent de l'Algérie. Néanmoins, les Hamyan-Djemba et les Oulad Sidi-Cheikh Gheraba, quoique marocains, ont des ksour du côté algérien.
La France a été trompée quant à ses droits sur le pays des Béni-Snassen, des Angad et des nomades du Sud. La frontière tracée est en contradiction avec la tradition historique algérienne, liée à la géographie ; elle n'a aucune valeur topographique. En outre, elle est fausse du point de vue ethnologique, comme nous l’avons vu.
Le traité de 1845 établit à grands traits, sans détails suffisants, une frontière partant de la baie d'Adjroud, située à 15 kilomètres à l'ouest de l'embouchure de la Moulouya, jusqu’à la gorge de Teniet Essassi, située à environ 60 kilomètres au sud-ouest de Sebdou. Cette frontière, qui coupe en ligne droite les vallées, les ravins et les crêtes, ne tient pas compte des tribus et des groupes qui habitent la région, qui sont ainsi scindés en deux groupes artificiels.
Un véritable casse-têteL'article 4 du traité de délimitation de la frontière algéro-marocaine porte : «Au-delà de Teniet Essassi, il est inutile d'établir une limite, puisque la terre ne se laboure pas. Et l'on se contente d'énumérer les tribus nomades qui relèveraient de chaque gouvernement : les Hamyan-Djemba et les Oulad Sidi-Cheikh Gheraba dépendent du Maroc ; les Oulad Sidi-Cheikh Cheraga et tous les autres Hamyan dépendent de l'Algérie.»
Le traité poursuit à l’article 5 : «Les ksour qui appartiennent au Maroc sont ceux d'Ich et de Figuig ; ceux qui appartiennent à l'Algérie sont ceux d'Aïn-Sefra, Aïn-Sfissifa, Asla, Tiout, les deux Chellala, El-Abiod et Bou-Semghoun.»
Des territoires situés à l'est du méridien d'Aïn-Sefra ne sont pas évoqués dans le traité, causant un véritable casse-tête, source de contestations.
Les zones situées au sud des ksour algéro-marocains, dit l'article 6, qui subissent le manque d’eau et qui sont de ce fait inhospitalières, car s’agissant du désert proprement dit, n’ont pas été délimitées, elles ont été jugées dérisoires.
Un ajout au traité pour parer à toute éventualité insurrectionnelle en provenance du Maroc indique que «les tribus des deux Etats ont droit de libre parcours n'importe où dans le sud et que le souverain d'un Etat, ayant à réprimer dans cette région les désordres de tels ou tels de ses sujets, peut les poursuivre et les châtier à sa guise, mais sans exercer la moindre action sur les tribus de l'autre Etat».
C’est ainsi qu’une tribu du Sud marocain pouvait pousser ses troupeaux au-delà de Géryville, de Laghouat et de Biskra, et une tribu algérienne pouvait faire de même jusqu’aux bords de l'Atlantique, le plus naturellement du monde.
Cependant, «comme il faut bien qu'un pays finisse quelque part et que là en commence un autre», les rédacteurs du traité ont imaginé une ligne droite discutable, voire problématique, qui, partant «de Teniet Essassi, coupe le chott El-Gharbi, gagne de là le djebel El-Guettar, s'infléchit vers le sud pour passer à l'ouest d'Aïn-Sfissifa, puis, décrivant un arc de cercle autour des deux ksour marocains d'Ich et de Figuig, va rejoindre l'oued Zousfana au 32e parallèle» (Considérations sur la défense de l'Algérie-Tunisie et l'armée d'Afrique, par R.-J. Frisch. Editeur : H. Charles-Lavauzelle. Paris, 1899).
Pour résumer, donc, selon les innombrables auteurs qui se sont intéressés au sujet depuis l’antiquité, Oujda se trouvait en territoire algérien.
http://www.algeriepatriotique.com/article/contribution-de-l%E2%80%99historien-ali-farid-belkadi-%E2%80%93-quand-oujda-faisait-partie-de-l%E2%80%99alg%C3%A9rie