Au cours d'un demi-siècle, Abu Sitta a collecté des cartes, des
documents, des témoignages, des données précises historiques, et bien
plus encore, pour réfuter catégoriquement la plupart des revendications
d'
Israël sur la
Palestine. Puisant
dans ses connaissances en ingénierie, Abu Sitta a également exposé les
grandes lignes d'un plan de retour - légal et physique - de la
population palestinienne dans les maisons d'où elle est expulsée depuis
1948.
Abu Sitta est né dans une famille de notables de Beersheba en 1938.
Alors qu'il avait dix ans, sa famille a fait partie de la première vague
de réfugiés qui a fui à
Gaza, pendant que les forces
sionistes lançaient leur campagne de nettoyage ethnique de la
Palestine.
Il a été alors envoyé au prestigieux lycée Al-Saidiya, au Caire, où il a
obtenu le premier rang de toute l’Égypte. Il a poursuivi ses études à
la Faculté d'Ingénierie de l'Université du Caire, suivies d'un doctorat
de génie civil à l'Université de Londres. C'est à Londres qu'il a
commencé à amasser des cartes et des documents relatifs à chaque pouce
de terrain de
Palestine, s'embarquant dans un voyage qui a duré toute sa vie.
Dans les décennies qui ont suivi, il a été membre du Conseil national
palestinien, a travaillé comme chercheur sur les questions des réfugiés,
et a écrit des centaines d'articles sur les droits des réfugiés
palestiniens, ainsi que cinq livres, dont
L'Atlas de Palestine 1917-1966, une œuvre majeure de 700 pages. Récemment, il a créé la Palestine Land Society
(PLS), à laquelle il consacre l'essentiel de son énergie. En raison de
son travail de toute une vie, et en particulier son engagement
indéfectible au Droit au Retour, Abu Sitta est considéré comme une icône
et une mine d'or d'informations sur la
Palestine. C'est dans son bureau qu'a eu lieu son entretien avec Yazan al-Saadi, pour
Al-Akhbar.
Yazan al-Saadi : Qu'est-ce que la PLS et que fait-elle ?
Salman Abu Sitta : PLS, comme le montre clairement notre site web, se consacre à la documentation de la
Palestine, sa terre comme son peuple, [qui] inclut la transformation de la
Palestine d'avant la première Guerre mondiale jusqu'à aujourd'hui, ce qui
signifie le début, la croissance et l'expansion du projet colonial
sioniste en
Palestine et ce qu'il a fait à la terre et à la population, et des archives sur la terre et la population.
YS : Pourquoi la PLS est-elle nécessaire ? En quoi est-elle unique, comparée à d'autres groupes pour la
Palestine ?
SAS : Si j'avais vécu en
Palestine avant la Première Guerre mondiale, je n'aurais pas éprouver le besoin [d'une organisation] parce que les gens savaient que la
Palestine était leur patrie et ils y vivaient. Ils n'avaient donc aucun besoin
d'une confirmation de leur identité, c'était un acquis. Cependant, il y a
le projet
sioniste et il est évident - maintenant plus
que jamais auparavant - qu'il a trois objectifs qui forment une
entreprise coloniale tout à fait unique.
Premièrement, s'emparer de la terre de
Palestine et
également - comme nous le savons grâce à la littérature et aux
évènements ultérieurs - de parties de la Syrie, du Liban, de la Jordanie
et de l’Égypte.
Deuxièmement, se débarrasser de la population. D'abord en 1948 par une
série de massacres - près de 77 massacres et atrocités - puis par
l'expulsion de la population restante.
Le troisième objectif, qui est connu mais rarement combattu, est d'effacer la mémoire et l'histoire des Palestiniens en
Palestine. Du point de vue des sionistes, il y a de nombreuses justifications à cela. D'abord, faire la preuve du mythe que la
Palestine est une "terre sans peuple". Ensuite, se persuader eux-mêmes, et l'Occident très crédule, qu'ils ont un droit légitime en
Palestine,
en faisant valoir qu'ils étaient les propriétaires du pays il y a
quelques 2000 ans - ce qui est de toutes façons incorrect d'un point de
vue historique - et qu'ils sont fondés à revenir sur une "terre vide".
David Ben Gourion a lancé une nouvelle guerre contre les Palestiniens
immédiatement après la signature de l'Accord d'Armistice avec la Syrie
le 20 juillet 1949. Il a réuni une vingtaine d'experts israéliens sur
l'Ancien Testament et la Torah, de géographes, de topographes, etc., il
leur a demandé d'effacer tous les noms palestiniens et de les remplacer
par des noms en hébreu, avec de préférence quelques touches historiques.
Ainsi fut fait, et cela leur a pris dix ans. Les cartes israéliennes
des années 1950 n'étaient rien d'autres que les cartes topographiques
britanniques de
Palestine réécrites en hébreu. A partir de 1960, le service topographique d'
Israël a commencé à éditer des cartes dépourvues de tous ces noms palestiniens
d'origine remplacés par des noms en hébreu. Le but était d'implanter
dans les esprits des Israéliens, en particulier la jeune génération, que
c'est "
Israël" et que ce sont les noms hébreux
d'origine. Lorsque vous interrogez de jeunes Israéliens aujourd'hui sur
ces noms, ils croient que ça a toujours été comme ça. Ils ne savent pas
que dessous, il y a un village palestinien.
L'objectif principal de la création de PLS est de restaurer le
patrimoine palestinien qui a été effacé par les Israéliens. C'est un
petit secret, un défi indirect à Ben Gourion qui a dit jadis : "
Les vieux mourront et les jeunes oublieront."
Eh bien, les vieux mourront bien sûr, mais pas avant d'avoir parlé à
leurs enfants de leur terre. Avant, quand le vieil homme parlait à son
fils de la terre, c'était en la décrivant, c'était poétique. Maintenant,
nous [au PLS] leur donnons une carte physique.
YS : Vous avez commencé à documenter l'histoire de la
Palestine lorsque vous aviez 30 ans. Ce type de résistance est-il efficace ?
SAS : En fait, j'étais plus jeune, j'ai commencé
lorsque je suis allé en Angleterre pour mon doctorat et qu'il y avait
tant de références disponibles sur la
Palestine. Après
Oslo, j'y ai consacré plus de temps et moins de temps à mes affaires. A
l'époque, j'avais déjà accumulé beaucoup de documents, de cartes, de
photographies, de livres anciens, de nouveaux livres. Actuellement, nous
avons probablement environ 10.000 articles.
D'une manière générale, la connaissance sur le Droit au Retour, ce qu'il
signifie, si c'est une alternative à une indemnisation ou si une
indemnisation est complémentaire au Droit au Retour, et la question du
lieu de retour sont bien implantés, pour deux raisons :
D'abord, la jeune génération, dans son ensemble, est plus instruite que
ses parents, alors ils cherchent et enquêtent. Ils ont cette curiosité
pour leur patrie qui vient d'une bonne éducation.
Ensuite, cette curiosité et cette connaissance peuvent être largement
transmises par le biais d'internet. Toutes ces pensées et ces idées
s'accumulent. Quand quelque chose se produit, comme la guerre et la
destruction de
Gaza ou la destruction du camp de Jenin, maintenant les gens peuvent répondre et dire, "
Ah ! Nous savons pourquoi c'est arrivé, au jour le jour." Ils peuvent creuser dans l'histoire.
Par exemple, il y a ce site appelé Palestine Remembered,
que nous n'avons pas créé mais auquel nous avons collaboré très
étroitement. Des centaines de milliers de jeunes gens cherchent leurs
villages et trouvent même des proches venant de leurs villages.
De plus, j'ai fait une carte de
Palestine, un poster
montrant tous les villages dépeuplés, qui a été réimprimée - jusqu'à un
million et demi de copies dans différents pays.
Rues de la vieille ville de
Jérusalem (photo Plands.org)
Nous avons également édité le
Daleel Haq al-Awda (Le Guide du
Droit au Retour) ; le mois dernier, 5000 exemplaires ont été imprimées
dans les camps de réfugiés de Jordanie. Avant cela, il a été imprimé et
diffusé à
Gaza, en Syrie et au Liban. Les jeunes sont avides de connaissances, et nous leur fournissons ces informations.
Ce qui m'a surpris, c'est que tant d'année après la réalisation de l'Atlas de
Palestine,
qui recense 50.000 noms de localités, nous n'avons plus vraiment besoin
d'argumenter sur Balfour ni de montrer les titres de propriété de notre
terre pour prouver que nous existons. Il suffit de montrer les cartes
historiques de
Palestine.
Les 50.000 noms sont l'alphabet de l'histoire sociale des Palestiniens.
Chaque nom a été façonné par les gens eux-mêmes dans leurs vies
quotidiennes, ce qui montre qu'il y a eu une société dynamique sur des
milliers et des milliers d'années. Tous ces noms n'ont pas été créés de
toutes pièces par un comité comme celui de Ben Gourion.
Nous travaillons maintenant sur une carte de
Palestine qui remonte à 1596, à partir du registre des impôts créé pour la
Palestine quelques années après le règne ottoman sur la région. Nous avons essayé
de voir si ces noms du 16ème siècle avaient un lien avec les noms que
nous avons aujourd'hui ou que nous avions jusqu'à la Nakba [l'expulsion
des Palestiniens en 1948]. Jusqu'à présent, 90 pour cent des noms sont
les mêmes. Ceux qui sont différents ont été modifiés de manière infime.
Même en remontant dans l'histoire, nous avons trouvé un livre de
l'archevêque de Césarée, Eusèbe, qu'il a écrit, en 313 après JC, sur les
localités de
Palestine. Ce livre a été écrit en grec
ancien et en latin, mais heureusement, il a été traduit en anglais il y a
environ cinq ans. J'ai analysé ce livre et j'ai relevé les noms de ces
localités tels qu'ils existaient en l'an 313 et je les ai comparés avec
notre atlas. A nouveau, tous ces noms sont les mêmes, avec de légères
variations d'orthographe. Il est remarquable que ces villages aient
existé depuis au moins 2000 ans.
La partie tragique de l'histoire est que nous avons identifié 139 noms de ces vieux villages qui ont été détruits par
Israël en 1948. Personne n'a levé le petit doigt quand 139 villages, qui
existaient déjà à l'époque de Jésus-Christ, ont été systématiquement
détruits.
Dans les années 1950 et au début des années 1960, les Israéliens ont
réalisé que détruire aveuglément les villages palestiniens n'était pas
une bonne chose. Ils ont donc créé la Société archéologique d'
Israël dans le but précis d'aller dans ces villages avant leur destruction
pour récupérer tout élément utilisable pour bâtir et créer une histoire
juive en
Palestine et pour détruire tout le reste. Non seulement les vestiges ottomans et arabes, mais aussi byzantins et romains.
Cette destruction était délibérée et planifiée pour éliminer toute autre
histoire qu'une histoire juive et pour créer une fausse histoire. Nous
n'avons entendu aucune protestation sur cette perte d'un patrimoine
humain de la part de l'UNESCO ou des Occidentaux, qui agitent
régulièrement l'étendard de la civilisation.
La guerre s'étend sur plusieurs fronts, pas seulement militaire, mais
c'est aussi une bataille sur les esprits des gens. Les Israéliens
veulent implanter dans les esprits des Juifs d'abord, et des autres
ensuite, qu'ils ont une histoire et une géographie légitimes en
Palestine.
Nous essayons de dire que ce n'est pas le cas. Nous sommes sur la
défensive. Nous n'essayons d'effacer aucune autre histoire - nous
essayons de dire que nous ne vous laisserons pas [
Israël] effacer la nôtre.
YS : Tout votre travail à temps plein sur ce sujet
depuis les années 1990 a-t-il été couronné de succès et quels
changements avez-vous vus ?
SAS : Dire que nous avons complètement réussi serait
une exagération parce que nous ne luttons pas seulement contre
l'influence israélienne en Occident, mais aussi contre les
revendications des Croisades sur la
Palestine. En Occident, la vision de la
Palestine est figée au temps des Croisades : "Ce sont des Sarrasins, ils ont pris notre
Jérusalem. Ce sont des sauvages et nous sommes civilisés."
Les Israéliens ont construit leur stratégie sur l'image des Croisés vis-à-vis de la
Palestine.
De là ils ont élaboré l'idée oxymorique d'un patrimoine judéo-chrétien.
C'est drôle ; c'est comme une alliance capitalo-communiste.
Je pense vraiment qu'il y a eu des progrès et j'ai pu le constater à
diverses occasions. Par exemple, notre atlas est disponible dans les
universités d'Europe occidentale et aux États-Unis. Presque chaque
semaine, je reçois des questions d'un doctorant ou d'un organisme de
recherche. Nous avons également une accréditation des Nations Unies et
ils diffusent nos cartes comme documents fiables.
Nous avons fait quelques percées auprès de cercles d'élites
intellectuelles. Bien sûr il y a parmi eux des groupes comme des
universités ou des centres de recherche qui sont anti-palestiniens, et
eux aussi désirent se procurer nos publications. Jusqu'à présent, aucun
d'entre eux, dont Benny Moris, n'a contesté les faits que nous avons
publiés. Ils interrogent seulement nos motivations, et ça me va.
Ce qui m'inquiète maintenant, c'est qu'après Oslo, la jeune génération,
les enfants qui ont jeté des pierres pendant la Première Intifada, sont
privés de la connaissance directe de la
Palestine. Pourquoi ? Leurs parents ne sont plus des
fedayeen, l'Organisation de Libération de la
Palestine (OLP) est en déroute, et les pressions américaines et israéliennes sur
les programmes scolaires rendent ardu l'apprentissage sur la
Palestine à l'école - ceci est plus marquant en Jordanie et en
Cisjordanie sous Mahmoud Abbas.
Je pense qu'à la "Palestine Land Society", nous devons maintenant
diriger nos efforts vers l'enseignement. A cet égard, je suis très
heureux d'une avancée importante. Après plusieurs discussions, l'UNRWA a
accepté de recevoir un don de 700 exemplaires de notre atlas pour
chacune des 700 écoles qu'ils administrent. J'espère seulement que les
enseignants des écoles de l'UNRWA feront grand usage de l'atlas.
YS : Comment est née l'idée de l'Atlas de
Palestine ?
SAS : Elle est le point culminant du travail qui visait
à mettre en échec le plan de Ben Gourion et nous avons regroupé la
somme des informations en un seul livre. Je pense que l'atlas est
probablement une des quelques références qui regroupent toutes ces
informations en un seul volume. Nous n'avons rien inventé ; nous avons
compilé les informations venant de tant de pays, de tant de sources, de
tant de périodes et nous les avons réunies.
Dans la première partie de l'atlas, nous avons analysé les informations
et ce qu'elles signifiaient. A cet égard, le recueil de Mustapha
Dabbagh,
Biladuna Filisteen (Palestine, notre pays) fut une
référence extrêmement précieuse. Walid Khalidi, l'historien palestinien
bien connu, a produit un volume appelé
All That Remains (Tout ce qui reste), qui fut une autre bonne source.
YS : D'autres groupes palestiniens ou organisations politiques comme le Hamas, le Fatah ou l'OLP se sont-ils impliqués ?
SAS : J'aurais aimé que la réponse soit oui. Je regrette de dire que la réponse est non.
YS : Même actuellement ?
SAS : Le Hamas est intéressé par le produit, mais
personne n'a joué un rôle dans sa création. Le Fatah a été peu
intéressé. Je regrette que personne ne nous ait aidés - pas d'un point
de vue politique, ce que nous ne voulions pas, mais d'un point de vue
financier. Nous n'avons reçu aucune aide financière, à part des petites
sommes de quelques individus intéressées. Mais beaucoup de jeunes ont
proposé de travailler bénévolement.
Le plus triste, c'est que des gens qui revendiquent des sièges à l'OLP
aujourd'hui n'aient même pas chercher à acheter des exemplaires de
l'atlas une fois qu'il a été terminé. Ils l'ont regardé, certains le
connaissaient, et d'autres ont demandé à le recevoir en cadeau, mais
personne n'a fait d'efforts pour l'acheter et le distribuer dans les
écoles.
YS : Quelles sont les implications juridiques de cet atlas ?
SAS : Elles sont, et pourraient être, encore plus grandes. J'ai quelques exemples.
D'abord, un jeune homme de l'équipe de négociation de l'OLP s'est vu
confier la tâche de trouver où était la Ligne d'Armistice, le long de la
Cisjordanie , dans la région de Latrun. Il m'a écrit,
disant qu'il n'avait pas trouvé de meilleure source que l'atlas et nous
lui avons donné toutes les informations que nous avions. Il ne l'a pas
fait en tant que représentant d'un organisme officiel, mais en tant que
personne privée qui fait une recherche, alors nous l'avons aidé.
L'autre exemple implique l'ALECSO (l'Organisation arabe pour
l'Education, la Culture et les Sciences), qui avait un problème avec
Israël au sujet de Tel al-Qadi, qui voulait le faire inscrire comme patrimoine
israélien à l'UNESCO. Nous avons produit un rapport sur la géographie
du lieu et son histoire. Je ne sais pas si ce rapport fut la seule
source, mais apparemment il a provoqué l'hésitation de l'UNESCO qui a
refusé la requête d'
Israël. Ce fut une victoire - peut-être une victoire indirecte.
Un autre exemple : les Nations Unies voulaient évaluer les pertes et les dommages provoqués par le mur d'
apartheid sur les villages de
Palestine.
J'ai pris contact avec une petite unité à Ramallah, au sein de l'AP, et
j'ai découvert qu'elle n'avait aucune information sur ce thème. Je lui
ai donc procuré les détails sur ces villages, la superficie des terres,
et comment ils étaient affectés par le mur. Ils ont été très satisfaits.
Ils n'avaient pu trouver aucun autre moyen pour avoir les informations,
pas plus qu'ils n'ont voulu se rapprocher de nous officiellement au
plus haut niveau pour signer une convention.
Portes d'entrée dans la vieille ville de
Jérusalem (photo Plands.org)
YS : Pourquoi ?
SAS : Je vous laisse être témoin d'un cas qui vient
juste de se produire hier [23 juillet]. J'ai découvert que les Nations
Unies ont un organisme appelé
United Nations Group of Experts on Geographical Names (UNGEGN), [en français Groupe d'experts des Nations Unies sur les noms géographiques",GENUNG,
ndt]. C'est un consortium mondial d'experts sur les noms des localités
dans le monde entier. Ils tiendront une conférence à New-York du 31
juillet au 11 août sur la normalisation toponymique et les États membres
y sont représentés.
J'ai écrit au vice-président de ce groupe au sujet de la
Palestine,
lui disant que nous avions recensé 50.000 noms. Il a été stupéfait, m'a
dit que le délégué palestinien aurait dû présenter ce dossier, et nous a
demandé pourquoi nous ne nous étions pas mis en contact avec le
représentant responsable. Nous avons contacté le ministère du Plan, qui a
répondu que travailler avec nous les intéressait, et nous lui avons
demandé que le ministre nous contacte pour établir une convention
officielle avec la PLS pour savoir qui ferait quoi.
La personne que j'ai contactée semblait sympathique, mais elle essaie de
faire de son mieux dans un désert et personne ne l'aide. Je lui ai dit
que j'avais besoin d'un accord officiel avec le ministère pour définir
notre rôle. Mais parce qu'ils sont sous la botte de l'occupation
israélienne, seule la
Cisjordanie les intéresse et l'ensemble de notre travail traite des parties perdues de
Palestine. Alors ils n'ont pas donné suite.
Je voulais qu'elle prenne deux exemplaires de l'Atlas, un en arabe et un
en anglais, pour les exposer à New-York et que les experts les voient.
On va voir maintenant où nous en sommes.
Abu Sitta décroche son téléphone et appelle le ministère.Nos problèmes viennent principalement de nous-mêmes. Même la victime a
une responsabilité si elle se laisse faire. Je n'accuse pas les voleurs.
J'accuse le propriétaire de la maison de ne pas avoir fermer la porte.
Une secrétaire répond, dit que la représentante est chez elle et
donne à Abu Sitta son numéro de téléphone portable. Il le compose, la
fonctionnaire répond et dit qu'elle a besoin de consulter ses
supérieurs.J'ai ce problème tout le temps. J'ai besoin d'avoir accès aux forums
internationaux, officiellement. Je ne peux pas. Je crois que nous
représenterions la
Palestine d'une manière adéquate
dans ces forums internationaux. Tant que nous n'aurons pas élu un
nouveau Conseil national palestinien (CNP), avec de nouveaux dirigeants,
cela n'arrivera pas.
YS : Pensez-vous qu'il devrait y avoir une réforme ou une rénovation du CNP ?
SAS : Absolument. Notre travail a conduit à deux
conclusions. D'abord, il faut éduquer et informer notre peuple sur ses
droits, ce qui a été fait dans certains domaines mais n'est pas achevé.
Ensuite, nous devons donner du pouvoir au peuple pour qu'il défende ses
droits. Ce qui manque en ce moment, c'est un renforcement du pouvoir de
la population.
Le mouvement pour le Droit au Retour, à la création duquel nous avons
travaillé très dur, avec d'autres, est maintenant généralement bien
compris et vivace dans l'esprit des gens, mais il lui faut une
représentation légale. Cela ne peut se produire que si un nouveau CNP
est démocratiquement élu et représente onze millions de personnes, du
sein duquel émergera une nouvelle direction, et cette direction devra
participer à tous les forums internationaux.
A l'heure actuelle, la situation de l'OLP est lamentable parce que,
après Oslo, on l'a diluée pour la remplacer par l'Autorité
Palestinienne. Grâce à l'occupation israélienne, l'AP est devenue un
sous-traitant. Le monde palestinien tout entier est agité parce que ces
gens, à Ramallah, ne nous représentent pas et ils ne représentent même
pas les
Cisjordanie ns parce que leur mandat a expiré.
La population de la
Cisjordanie ne représente que 18
pour cent des Palestiniens. Qu'en est-il des 82 autres pour cent qui ne
sont pas représentés ? Sept millions de réfugiés, ils sont plus
importants en nombre que la population de la Jordanie, ou que celle du
Liban, et ils n'ont aucune représentation officielle. Il est donc
impératif que le CNP soit élu même s'il a des problèmes de
représentation adéquate dans certains secteurs. Mais ce sera quand même
mieux que ce que nous avons aujourd'hui.
YS : Travaillez-vous dans ce but ?
SAS : Oui, beaucoup. Avec un autre organisme appelé le Right of Return Congress,
nous avons organisé une conférence à Londres en 2003 et à Beyrouth en
2007. Nous avons maintenant des piles et des piles de correspondances et
de communications avec tous ceux qui sont concernés. Mais en ce moment,
nous sommes pris en otage par la réconciliation nationale entre le
Hamas et le Fatah.
Premièrement, je pense que la réconciliation nationale est une farce,
parce que le Hamas et le Fatah ne représentent pas plus de deux ou trois
pour cent des Palestiniens. Deuxièmement, une réconciliation nationale
entre eux ne fera que diviser le gâteau entre eux et non avec les
autres. Troisièmement, si nous avons un CLP, la réconciliation nationale
sera hors de propos parce qu'elle deviendra une question à résoudre
dans une des commissions locales au sein du CNP et non aux portes des
services secrets arabes.
Nous [PLS] tentons de combler les vides. Il y a une absence totale de
représentation palestinienne officielle pour défendre nos affaires dans
tous les domaines, même géographiques et autres. Pourquoi l'ALESCO
s'est-elle tournée vers nous pour l'aider au sujet de Tel al-Qadi ?
Parce qu'il n'y a personne d'autre.
YS : A l'heure actuelle, vous avez une expansion du
projet colonial israélien, une accélération de la répression, l'OLP est
en ruines, le Hamas et le Fatah s'écharpent, les pays arabes voisins
sont secoués par des soulèvements et des changements majeurs de
dynamique du pouvoir. Compte tenu de tous ces facteurs, le Droit au
Retour est-il viable et quel est son avenir ?
SAS : Tous les éléments que vous mentionnez sont des
préparatifs de ce qui est à venir. Tous indiquent que le Droit au Retour
est très loin d'être mis en œuvre. Paradoxalement, cette situation, que
vous décrivez très clairement, rapproche le Droit au Retour.
Avec la faiblesse des gouvernements arabes et en l'absence d'une
véritable représentation des Palestiniens à l'OLP, le régime israélien
est déchaîné. Tous ses masques sont tombés. Il est maintenant
ouvertement raciste, ses rabbins décrètent qu'il faut tuer les enfants
palestiniens, il expulse les gens de
Jérusalem.
Tout ceci veut dire que la vraie nature d'
Israël, ce
que nous, Palestiniens, disons au monde depuis 1948, est maintenant plus
manifeste grâce aux actions et aux déclarations du gouvernement
israélien - au point que même des Juifs américains disent maintenant que
c'est trop.
De plus,
Israël est en train d'avaler la
Cisjordanie . Il en fait une multitude de
Gazas ou de camps de concentration. Le nombre de Palestiniens aujourd'hui en
Palestine, de toutes les zones de 1948 à la
Cisjordanie , est égal au nombre de Juifs, si vous excluez 400.000 non-Juifs vivant en
Israël.
Je ne veux pas jouer au jeu des chiffres parce que même si les
Palestiniens étaient 10 pour cent, il n'y aurait aucune raison de les
éradiquer. Mais l'importance du nombre rend l'affaire plus claire.
J'ai le sentiment que pour nous, c'est beaucoup plus facile de présenter
Israël pour ce qu'il est, parce que ceux qui en font la preuve sont les
Israéliens eux-mêmes. Du coup, lorsque vous dites que vous voulez la
liberté, les gens écoutent. La plus grande partie du monde connaît notre
situation. L’Occident, où le
lobby israélien tire sa force, changera avec le temps.
Déplacer le sens de l'injustice du retrait du mur d'
apartheid ou du retrait de l'occupation à une situation nouvelle de "Je veux vivre dans ma maison" devient possible et compréhensible.
La plupart des gens dans le monde sont contre l'occupation de la
Cisjordanie , mais il y en a très peu qui peuvent relier cette position au même
principe de justice qui consiste à vouloir revenir chez soi.
Cela m'est plutôt égal que ce soit un ou cent États, mais ce qui
m'importe vraiment, c'est le droit humain fondamental selon lequel
chacun devrait être à même de vivre dans sa maison. Je ne veux pas
tomber dans le piège d'un État ou rien. J'ai l'habitude de demander aux
gens qui veulent un État : voulez-vous que chacun vive dans sa maison
librement ou non ? C'est pour cela que nous devons lutter. Nous sommes
plus proches de l'application du Droit au Retour par des chemins
auxquels les Israéliens n'avaient pas pensé.
La première partie de l'Atlas de Palestine 1917-1966 (172 pages) - Edition 2010 - en anglais, est disponible en ligne iciLe professeur Salman Abu Sitta
Source : Al Akhbar
Traduction : MR pour ISM